L’OEUF DE L’ANGE (2025) – Critique
Fiche technique :
- Date de sortie : 22 décembre 1985
- Date de resortie en 4k : 3 décembre 2025
- De : Mamoru Oshii
- Avec : Mako Hyôdô, Jinpachi Nezu, Keiichi Noda
- Genre : Animation, Drame
- Durée : 1h11
Notre avis sur le film
L’OEUF DE L’ANGE
L’Œuf de l’Ange – Une oeuvre qui résiste au temps
Il existe des films qui ne vieillissent pas. Pas parce qu’ils sont intemporels, non : parce qu’ils semblent venir d’un autre temps, d’un ailleurs que le nôtre. L’Œuf de l’Ange de Mamoru Oshii est de ceux-là. Quarante ans après sa sortie, le film revient en salles dans une version 4K restaurée, et l’expérience reste aussi troublante qu’à l’origine : un voyage onirique, lent, hypnotique, où chaque image semble suspendue entre le sacré et l’oubli. Son format est sans concession, perdra surement des spectateurs en cours de route mais emportera les autres dans un cauchemar étrangement attirant.
Un film fantôme
Sorti en 1985 sous forme d’OVA, L’Œuf de l’Ange (Tenshi no Tamago) est une œuvre à part dans la filmographie de Mamoru Oshii. Avant Ghost in the Shell, avant Patlabor, il signe ici un objet presque muet, d’une densité métaphysique rare. Le scénario ? Une jeune fille erre dans un monde dévasté, portant un œuf mystérieux. Sa rencontre avec un soldat venu d’ailleurs déclenche un échange énigmatique, où chaque geste, chaque silence, semble chargé de symboles bibliques et existentiels.
Oshii, à l’époque, s’éloigne volontairement des codes de l’animation japonaise. Pas de narration claire, pas de climax, pas d’humour ni de pathos facile. Juste une succession de visions glacées, construites avec un sens du cadre et de la lumière qui évoque Tarkovski autant que Dreyer. La lenteur n’est pas une coquetterie : elle oblige à regarder autrement, à ressentir plutôt qu’à comprendre.
À savoir
- Un film presque muet : L’Œuf de l’Ange ne contient qu’une vingtaine de répliques en 70 minutes.
- Une collaboration mythique : Yoshitaka Amano, alors illustrateur mythique des premiers épisodes de la saga Final Fantasy, signe ici ses premiers décors pour le cinéma.
- Une restauration d’exception : Les négatifs 35 mm ont été restaurés image par image, et le son a été remixé en Dolby Atmos.
Amano, peintre des ténèbres
La direction artistique de Yoshitaka Amano est centrale dans la puissance évocatrice du film. Ses décors monochromes, ses architectures démesurées, ses personnages aux visages diaphanes construisent un univers à la fois spirituel et charnel. Chaque plan semble suspendu dans le temps, comme une peinture religieuse plongée dans l’eau. Le film ne compte qu’environ 400 coupes — trois fois moins qu’un long métrage classique. La caméra, immobile ou d’une lenteur méditative, transforme chaque scène en tableau vivant. Dans ce monde noyé de brume, la lumière devient un langage, l’eau un miroir, et le silence une prière. Cette direction artistique si particulière fait de L’Œuf de l’Ange non pas un film à regarder, mais une expérience à vivre. On en sort vidé et rempli, avec le sentiment d’avoir touché quelque chose d’indicible.
La restauration, un acte de foi
La ressortie 4K, supervisée par Oshii lui-même, redonne au film toute sa splendeur. Les négatifs ont été restaurés avec une minutie quasi archéologique, et le son — initialement mono — a été entièrement remixé en 5.1 et Dolby Atmos. Résultat : la musique de Yoshihiro Kanno, minimaliste et spectrale, retrouve une ampleur liturgique. Le moindre frôlement d’eau, la plus ténue des respirations, semblent habiter l’espace du spectateur.
Pourquoi ce film résiste-t-il au temps ?
L’Œuf de l’Ange n’est pas un film facile. Sa lenteur, son absence de repères narratifs, son symbolisme opaque peuvent désarçonner. Mais c’est précisément dans cette exigence que réside sa beauté : Oshii ne cherche pas à expliquer, il montre. Il laisse le spectateur errer, se perdre, puis peut-être se retrouver dans l’écho d’un souvenir ou d’une peur enfouie. Ce voyage sans concession s’adresse à ceux qui acceptent de suspendre le temps, de se laisser happer. On en sort avec le sentiment d’avoir touché à quelque chose de rare : la mélancolie d’un monde englouti, la nostalgie d’une foi éteinte.
En conclusion
Cette ressortie 4K confirme ce que les amateurs savaient déjà : L’Œuf de l’Ange est un monument secret, un jalon essentiel de l’animation d’auteur. Un film qui ne parle pas au cerveau, mais à l’âme. Quarante ans plus tard, il garde sa puissance hypnotique intacte. Une œuvre à redécouvrir, à contempler, à méditer — dans le silence d’une salle obscure
Merci, donc, d’avoir redonné vie à ce rêve.
Par Gregory CAUMES
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